Pastiche, cité fossile, ville musée !

PASTICHE, CITÉ FOSSILE, VILLE MUSÉE !

En matière de constructions neuves dans un quartier ancien, deux positions s’affrontent régulièrement. Celle du défenseur du patrimoine, d’abord : ne pas faire tout et n’importe quoi dans les secteurs patrimoniaux.

Pas gêné, le défenseur du patrimoine : il dit que si l’on veut absolument construire les dents creuses, il faut au minimum que les projets s’intègrent dans l’existant, c’est-à-dire qu’ils respectent le style, les formes des constructions en place, leur homogénéité architecturale.

A l’opposé le promoteur présente un projet moderniste, la plupart du temps tranchant et jurant au beau milieu de l’existant.

Alors le défenseur du patrimoine, désespéré, en appelle à l’élu, plaidant un projet respectueux des lieux, qui se fond dans l’existant, ose-t-il suggérer.

Et c’est là que l’élu sort sa botte secrète, imparable : « Mais ce serait du… « pastiche » !! Le mot qui tue est lancé. En le prononçant, le sort du défenseur du patrimoine est déjà scellé. Il agonise déjà, que l’élu lui porte l’estocade : il l’accuse en public de vouloir figer la ville en une « cité fossile », pire encore, en une « ville-musée » !!

L’accusation est très grave, le défenseur du patrimoine ne s’en relèvera pas. La sentence est rendue : le recours gracieux est rejeté.

Et quoi ? Un élu qui va de l’avant peut-il être passéiste ? Non, il faut construire original, faire dans le créatif, laisser l’empreinte de son temps. D’ailleurs, l’architecte X est reconnu, son projet est porteur de sens, etc.

Le défenseur du patrimoine n’est pas subtil, il n’avait pas saisi le sens du projet X. Il n’est ni intégriste de l’ancien, ni anti-moderne, mais pensait bêtement qu’un projet moderne s’adaptait mieux à un quartier moderne, il y en a tant, des quartiers modernes.

Respectueux de l’art des anciens bâtisseurs, il n’appelait pas de ses voeux un mauvais pastiche, mais une intégration sobre dans l’existant. Il ne comprend pas qu’on l’ait accusé de vouloir une ville figée, puisqu’une ville évolue toujours, et que c’est indispensable. Complètement dépassé, le pauvre défenseur du patrimoine.

L’élu, lui, n’est pas un homme du passé. Et de pourfendre l’« ayatollah » du patrimoine. En plus, du patrimoine il en reste encore beaucoup, alors…

Alors émerge un machin-truc exubérant au coeur d’un secteur classé, un gros blockhaus dans une rue XIXe, un cube vitré contre un immeuble XVIIe, rompant les équilibres et les volumes, le style et l’harmonie des lieux, leur histoire, leur âme.

Dans son opposition doctrinale au défenseur passéiste, l’élu a oublié que le touriste est attiré par la vieille pierre plus que par le machin en béton. Que l’administré, ou son descendant, lui reprochera un jour d’avoir scié un peu plus la branche sur laquelle la ville est assise. Mais l’élu sera-t-il encore là pour l’entendre ?

Jean-Luc DÉJEANT, novembre 2012