Le Baeckehiesel, un patrimoine disparu

Le “Baeckehiesel” (maisonnette de boulanger) était un restaurant strasbourgeois très connu. Il se trouvait près de l’Orangerie et donnait sur l’allée de la Robertsau (Ruprechtsauer-Allee pendant la période allemande), jusqu’en 1954 où il fut démoli pour laisser la place au grand immeuble appelé “ La Résidence” (numéros 77-79).

S’agissant d’un établissement qui a bien marqué des générations de Strasbourgeois, plusieurs articles lui ont été consacrés.

L’ADIQ en a parlé dans son livre “Le Quartier des Quinze et l’Orangerie” publié en 1985 aux éditions Oberlin (pages 30-31), aujourd’hui épuisé. Dans cet article, Jean Sigel, petit-fils de Jacques Antoni et Marie Freyes, gérants du Baeckehiesel de 1887 à 1920, évoque des souvenirs rapportés par ses parents, souvenirs également rappelés aujourd’hui dans un blog internet par sa fille (http://une-plume-des-mots.blogspot.com/2011/01/souvenirs-du-baeckehiesel-de-strasbourg.html).

De la même source, nous apprenons que deux jacquemarts du Baeckehiesel (seuls éléments conservés), se trouvent aujourd’hui en ville. L’un, représentant un apprenti pâtissier saluant, est situé au milieu de la façade qui orne aujourd'hui une pâtisserie sise au 25 de la rue du 22 novembre, et le deuxième se trouve au Musée Historique.

Robert Redslob dans son livre “Sous les regards de la Cathédrale, souvenirs du vieux Strasbourg” (éditions Sutter 1957, page 82), dans son récit sur l’allée de la Robertsau, parle ainsi de cette brasserie : « Le vieux petit Baeckehiesel était déjà là, bien entendu. On y trouvait, pour accompagner le verre de bière ou le café au lait, des Kugelhopf en miniature, à deux sous”.

Cette dénomination de “vieux” rappelle qu’il y avait deux Baeckehiesel. Le premier était déjà présent au début du XVIIIe siècle en tant qu’auberge où on pouvait aussi acheter du pain ; on voit sur les photos que sa façade et son toit ont été rafraîchis à la fin du XIXe siècle ; il fut démoli en 1954, tout comme le second Baeckehiesel qui avait été construit à ses côtés en 1890 par la brasserie Grüber et cie qui avait racheté le site. Des renseignements se trouvent sur le site internet archi-strasbourg.org.

D’autres indications se trouvent dans l’oeuvre “Jardin et urbanisme : l’exemple de Strasbourg” (http://lieux.dits.fr/LD/pat_alsace10.htm) : l’établissement  - qui à l’époque était une auberge - “existant dès le premier quart du XVIIIe siècle, était implanté à la pointe sud de la promenade Lenôtre. Il a été reconstruit et agrandi au fur et à mesure du développement de la ville dans la seconde moitié du XIXe siècle, avant d’être détruit en 1954”.

 

Cet ouvrage nous fournit également un dessin anonyme, vers 1800 (DRAC Alsace, CRMH, ICO 482 F010_014) ainsi qu’un plan de l’auberge et du jardin du Baeckehiesel. Ce dernier détail est repris du “Plan du Canton appelé Rubertsau, daté de 1774, AVCUS : C III 29”. De ces dessins, on peut s’apercevoir qu’un bras de rivière ou un canal jouxtait l’auberge à l’endroit où maintenant se trouve le boulevard  Déroulède. Cela ne nous étonne pas parce que l’une des rues avoisinantes est justement la rue de la Schiffmatt qui, au 17ème siècle, abritait des ateliers de construction de bateaux et barges en bois.

La version allemande de l'encyclopédie libre Wikipedia consacre un article au Baechehiesel - “Restauration zum Baeckehiesel (Straßburg) “ - qui à l’heure actuelle n’a pas de traduction dans la version française.

Dans son livre “Strasbourg de la Belle époque aux années Folles” (p.195), Georges Foessel écrit : "Situé face à l'entrée du parc de l'Orangerie, le Baeckehiesel était un des restaurants familiaux les plus célèbres de Strasbourg au début du XXème siècle." (…) "A côté du modeste restaurant originel, la brasserie Gruber a fait édifier une salle de bals et de banquets, suivie vers l'ancienne place Lenôtre d'un jardin d'été des plus agréables. Cette salle, d'une architecture mélangeant la pierre de taille, les structures métalliques et les panneaux de verre, était digne des plus grandes villes d'eaux et de l'Europe rhénane [...]". On apprend dans ce même ouvrage que la salle à manger était de style Jugendstil (art nouveau).

De son coté, l'ouvrage "Strasbourg - Mémoire en Images (p. 50)" nous donne des indications sur l’utilisation : "C'était à l'époque un des hauts lieux mondains strasbourgeois, où l'on venait bien volontiers se rafraîchir et déguster une tranche de kugelhopf. Ce magnifique restaurant fut construit en 1890 et servit pendant de longues années de lieu d'exposition et de salle des fêtes (expositions automobiles, bals masqués, etc.)".

Les images du Baeckehiesel donnent un aperçu de ce qu’il était finalement : un endroit typique où s’amuser, faire la fête et tenir des banquets et des réunions et dont le jardin d’été était très apprécié.

Une consultation rapide sur internet nous apprend aussi, par exemple, que le 16 juin 1892, à l’occasion de l’inauguration du port au niveau de la Porte des Bouchers - par l’arrivée de Karlsruhe du bateau “Industrie XXIV” qui constitua une étape décisive dans le développement de l’activité fluviale de la ville de Strasbourg -, la mairie organisa un banquet au Baeckehiesel, en l’honneur de ceux qui avaient contribué à l’ouverture d’un si beau port : représentants de la ville, de la Chambre de commerce, ingénieurs se pressaient autour de l’équipage de l’Industrie XXIV.

Il est également rapporté qu’en cette circonstance, le directeur de la compagnie Rhein-und Seeschifffarts Gesellschaft, M. Wahl, rêva tout haut  - et il rêvait vraiment puisque aujourd'hui, après presque cent vingt ans, il n’y a même pas de liaison aérienne ou ferroviaire directe entre ces deux villes - de créer une ligne de transport de marchandises entre Londres et Strasbourg, rétablissant ainsi une voie d’échange séculaire.

Un Congrès international de mathématiciens eut lieu à Strasbourg en 1920 et en cette circonstance fut fondée l’Union mathématique internationale (et voilà une autre organisation internationale qui a ses origines à Strasbourg). Le tout se termina bien entendu par… un banquet au Baeckehiesel.

Par ailleurs, nul ne doute que politique rime avec bonne restauration. En matière de réunions politiques, nous apprenons par exemple que, en 1932, il se tint au Baeckehiesel une assemblée des délégués de l’APNA pour établir “les conditions exigées pour une conciliation avec l’UPR et cela en vue des législatives de la même année”.

En 1936, l’ADIQ (à cette époque Société de sauvegarde des intérêts du quartier) organisait une « soirée de famille » au Baeckehiesel avec concert et sauterie pour fêter les 25 ans du quartier des Quinze et les 10 ans de l’association.

Georges Foessel, dans son ouvrage, s’exprime ainsi quant à la démolition : "(...) on ne peut, une fois de plus, que regretter sa démolition en 1954 dans le cadre d'une opération de promotion immobilière d'une consternante médiocrité".

Aujourd’hui, dans les sites de vente sur internet on ne trouve pas beaucoup de cartes postales ou photos de cet établissement. En revanche, on y trouve pas mal de jetons de nécessité (moyen de paiement qui, temporairement, remplace, dans un but utilitaire, le numéraire émis par l'État qui s'est raréfié). Ces jetons étaient utilisés pour acheter des chopes de bière (1/2 Liter Münchener).

 

En conclusion, ces recherches nous amènent à nous poser la question suivante : cela valait-il la peine de démolir cet établissement qui avait sa place dans l'histoire strasbourgeoise pour le remplacer par un immeuble d’habitation à l’architecture somme toute anonyme ?

Sergio SANSOTTA, mai 2011

 

P.S. : Cet article a été rédigé grâce à une première information et documentation fournies par Mme Fabienne Valentin Wendling, habitante du quartier, ainsi qu’à des recherches internet.

D’autres “souvenirs du quartier” concernant les auberges - bistrots - brasseries - commerces historiques du quartier et la pratique du football sur la place Lenôtre (eh oui, apparemment c’est ici que les Strasbourgeois auraient commencé à taquiner le ballon rond) étant en préparation, tout renseignement / photo sur ces sujets sera le bienvenu à l’adresse de l’ADIQ.