Géothermie profonde à Strasbourg : un second séminaire instructif du SPPPI

10 février 2015

 

Le 5 février 2015 se tenait le second séminaire sur la géothermie profonde organisé par le Secrétariat permanent pour la prévention des pollutions industrielles (SPPPI, dont l’ADIQ est membre). Une affluence record dans une salle des conseils de Strasbourg bondée, sujet sensible oblige.

 

Les orateurs invités étaient d’une part des scientifiques Français et Allemands versés dans la géothermie profonde en tant qu’universitaires, des ingénieurs impliqués dans les recherches en cours à Soultz-sous-Forêts, les deux industriels porteurs des projets de géothermie profonde à Strasbourg et dans la région, des représentants des services de l’Etat des deux côtés du Rhin, et les élus thématiques de l’Eurométropole et de Kehl.

 

Il s’agissait, on l’aura compris, d’exposés essentiellement techniques, de la part de personnalités pour la plupart soutenant les projets en cours à Strasbourg et dans la région. Pour les services de l’Etat, en l’occurrence la DREAL, tous les contrôles ont été prévus. Pour les industriels (É.S. et Fonroche), toutes les précautions seront mises en œuvre pour pallier les risques.

 

Dans ce concert de paroles rassurantes, deux voix ont été légèrement dissonantes. D’abord celle du Dr Seufert, élu de la Ville de Kehl, qui a fait part de l’opposition franche des Kehlois à un projet allemand de géothermie profonde autorisé par les autorités de Fribourg, ce qui a conduit la municipalité de Kehl à s’y opposer officiellement au motif des inconnues dans les techniques projetées et de la prudence qui doit s’imposer face à des projets trop précipités.

 

La voix également de M. Jean Bouleau, ancien du CNRS et « père » du forage de géothermie profonde réalisé à Cronenbourg en 1980, mais abandonné sans avoir fonctionné. Celui-ci a conseillé la prudence aux industriels porteurs des projets actuels, rappelant que le forage de Cronenbourg avait réservé des surprises et n’avait pas été à la hauteur des espérances.

 

Le débat avec la salle n’a eu lieu qu’à la fin des interventions, pour un temps restreint. Certains ont regretté qu’il n’ait pas été prévu de représentants associatifs parmi les orateurs, seulement quelques-uns d’entre eux ayant pu intervenir brièvement du fait du temps réduit du débat et du temps pris par les orateurs pour leurs exposés puis pour leur répondre. Yves Le Tallec, conseiller général, ainsi que Jean-Daniel Braun et Bertrand Hirtz, de l'ADIR, ont tout de même pu relayer l'opposition de la majorité des Robersauviens aux forages projetés dans la zone SEVESO.

 

Différentes questions avaient été préalablement posées par écrit aux orateurs invités, mais les réponses n’ont pas eu le temps d’être données, hormis quelques-unes qui avaient été intégrées dans les exposés des orateurs invités.

 

On sera d’ailleurs surpris d’une réaction, dès le lancement des invitations à ce 2e séminaire, du gérant du GEIE-EMC de Soultz et directeur général d’ECOGI, M. Villadangos, à l’une des questions posées par écrit par l’ADIQ.

 

Celle des questions de l’ADIQ qui n’a pas plu était celle-ci : « Fonroche affirme qu’il ne restera pas d’acide résiduel dans le « réservoir ». Or les expériences de Soultz sous Forêts ont montré que seul un tiers des produits acides injectés sont retrouvés au pompage en surface. Ne doit-on pas en déduire que les deux tiers demeurent dans le sous-sol ? D’autre part, les acides injectés n’étant pas des composants naturels du sous-sol, est-il possible d’affirmer qu’il n’y aura pas d’effets à terme sur les milieux ? »

 

Le représentant du GEIE avait indiqué au SPPPI que « les propos étaient inexacts », et n’avait pas hésité à demander « de ne pas mettre ces propos dans l’invitation »…

 

Outre la faible aptitude à la concertation et au débat contradictoire que reflète cette réaction étonnante, on se demande comment une question que l’on pose peut être considérée comme un propos inexact.

 

Cette vision d’une vérité unique non discutable était également reprise en fin de débat par M. Albert Genter, un ancien responsable à Soultz, qui vilipendait les propos erronés tenus sur les expériences de Soultz-sous-Forêts – sans toutefois nommer l’ADIQ.

 

Or M. Genter était probablement la dernière personne à pouvoir s’offusquer, dans la mesure où l’auteur desdits propos erronés… n’était autre que lui-même ! qui avait indiqué en 2010 au journaliste de la revue La Recherche que « Lors d’un premier test de circulation d’eau entre deux puits, en 1997, les ingénieurs ont observé qu’après 75 heures, ils récupéraient autant d’eau qu’ils en injectaient. Mais ce n’était pas la même. […] en réalité 30 % seulement de l’eau qui remontait par le puits provenait de l’injection. » Mais il est peut-être humain, après quelques années, d’oublier ce que l’on a déclaré, voire de le qualifier de propos erroné.

 

Cette parenthèse étant faite, revenons au court débat qui a eu lieu. Une jeune habitante est venue poser la bonne question : « Je ne comprends pas pourquoi vous avez retenu, pour faire ces forages profonds, justement la zone SEVESO du port aux Pétroles. Pourquoi là ?? »

 

Le représentant de Fonroche répondait que les études avaient mis en évidence un secteur faillé intéressant, et que le seul terrain disponible au-dessus était celui du port aux Pétroles ; que s’ils en avaient eu la possibilité ils auraient probablement choisi un autre site. 

 

Et là est le vrai débat. La responsabilité de l’industriel est de développer son entreprise, de monter des projets et de faire du profit. La responsabilité des élus est de développer la ville et de favoriser les énergies renouvelables ; mais elle est aussi de tenir compte de l’avis des administrés, et surtout de faire acte de prudence et de bon sens en s’abstenant de permettre un projet procédant de techniques expérimentales, dans un sous-sol que l’on ne connaît pas, dont on ne peut prédire les aptitudes à la géothermie profonde, et cela au sein d’une zone SEVESO, au milieu des stockages de produits pétroliers et chimiques, à deux pas de quartiers d’habitation denses.

 

L’impression que donnent les élus est la précipitation ; en forçant le trait, on pourrait dire qu’ils donnent l’impression de vouloir des forages à tout prix, vite et n’importe où. Dans un tel dossier, la responsabilité des associations de défense des intérêts généraux des quartiers est de rappeler aux élus que si le principe de précaution est à appliquer quelque-part, c’est bien au port aux Pétroles, et qu’il est donc sage de s’abstenir en un endroit si spécial. On a d’ailleurs été surpris d’entendre l’élu thématique, M. Alain Jund, qui soutient les projets de géothermie profonde dans le secteur, évoquer le principe de précaution à plusieurs reprises ; allez comprendre.

 

En écoutant bien, une note d’espoir pouvait néanmoins être décelée au travers de certains propos des décideurs, qui évoquaient que le choix des lieux de forages n’était pas encore fait, qu'un nouveau site de forage avait été retenu à Vendenheim, et que « l’acceptabilité sociétale » serait l’un des critères du choix. Une acceptabilité qui n’était pas un critère au départ. Il est vrai que depuis, les associations ont brandi l’étendard du mécontentement. Et que les élections départementales ne sont pas loin.

 

Jean-Luc DÉJEANT, 10 février 2015