Géothermie profonde au port aux Pétroles : Projet d'avenir ou jeu aux apprentis sorciers ?

L’eau chaude que certains projettent de pomper au port aux Pétroles est encore dans les entrailles de la terre, qu’elle échauffe déjà les esprits : inquiétude associative à la Robertsau, débats houleux au conseil municipal de Strasbourg. Nos quartiers, éloignés de seulement 900 mètres du site de forage projeté, pourraient être impactés par ce projet s’il voyait le jour ; il convenait donc de faire un point sur la question.

 

En juin 2013 une société Fonroche, basée dans un village du Lot et Garonne, a obtenu du ministère de l’écologie un permis exclusif de recherches de gîtes géothermiques sur l’ensemble de l’agglomération de Strasbourg. Elle a identifié plusieurs sites favorables dont le Port au Pétroles, où elle entend lancer des travaux d’exploration en profondeur, et où elle bénéficie déjà pour ce faire d’une convention d’occupation d’un site signée avec le Port Autonome, propriétaire du sol, sous le regard bienveillant de la CUS et de la Ville.

 

La géothermie profonde est à distinguer de la géothermie « domestique », celle par laquelle les particuliers chauffent leur eau sanitaire ou leurs logements, en faisant creuser des forages jusqu’à 100 mètres de profondeur, pour alimenter une pompe à chaleur. Cette géothermie dite de surface, largement encouragée par les pouvoirs publics en tant que source d’énergie renouvelable, présente des risques certains de pollution du fait que les forages sont susceptibles de mettre en relation les nappes superficielles, souvent polluées, avec les nappes inférieures, ou encore des risques de transfert de fluide caloporteur dans les eaux souterraines, sans parler des chamboulements dans les circuits hydrogéologiques souterrains naturels.

 

La géothermie est une technique récente qui souffre d’une réglementation en évolution, encore assez peu contraignante pour les particuliers et pour les entreprises de forage, dont beaucoup s’intitulent spécialistes de la question sans en avoir nécessairement les compétences et l’expérience.

 

Pour ce qui est du projet au port aux Pétroles, il s’agit de géothermie profonde, laquelle a aussi pour objectif la production d’énergie grâce à l’eau chaude du sous-sol, mais à un stade industriel, et à des profondeurs ici de 4000 à 5000 mètres.

 

Le procédé prévu consiste à injecter de l’eau chargée… d’acide chlorhydrique ! dans les fractures naturelles du sous-sol, afin d’y dissoudre les dépôts minéraux qui les colmatent, pour y pratiquer une bonne circulation d’eau chaude ; en quelque sorte on rouvre à l’acide les fissures naturelles de la roche souterraine. Cette technique diffère de la fracturation hydraulique de la roche mère, autre procédé, interdit en France suite aux débats sur les gaz de schistes, qui induit de petits séismes dont les effets seraient inacceptables en zones urbanisée et industrielle.

 

 

L’extraction de chaleur se fera en surface après pompage du liquide chaud, pour être transformée en électricité ; puis le liquide refroidi sera réinjecté dans le sous-sol fissuré via d’autres forages, et ainsi de suite.

 

Seulement voilà, les essais de Soultz sous Forêts, site expérimental alsacien dont le lecteur aura entendu parler, ont montré que les deux tiers du liquide acide injecté demeurent dans le sous-sol, puisque un tiers seulement de celui-ci est retrouvé au pompage en surface. Et pour cause, il ne s’agit ni d’un réservoir étanche ni d’un circuit fermé, mais du milieu naturel ! Et quand on sait que l’acide chlorhydrique n’est pas un composant naturel du sous-sol, on peut sérieusement se demander si entre deux maux (la fracturation hydraulique avec ses mini-séismes, et l’injection d’acide dans le milieu naturel), on a choisi le moindre. D’autant que les injections d’acide demanderont à être régulières tout au long de l’exploitation des forages, du fait du colmatage naturel des fissures. Or, bizarrement, personne ne se pose de questions sur les effets éventuels de ces injections d’acide dans notre sous-sol…

 

Le site retenu par Fonroche, situé rue de Rouen au débouché de la rue de la Carpe Haute, en zone SEVESO, au milieu du périmètre des cuves de stockage de produits pétroliers et chimiques, fait grincer des dents l’association robertsauvienne ADIR qui dans un article fouillé de sa revue signé de Jean-Daniel Braun, pointe les failles (du projet, non du sous-sol) et surtout les risques (activité sismique induite et pollution de la nappe, notamment), et qui annonce une réunion publique sur le sujet le 11 décembre.

 

Les habitants ont entendu parler de Lochwiller ou de Kirschheim, pour les accidents locaux, et de Bâle, Saint Gall, Staufen ou Landau. Cet été, la municipalité de Kehl, plus prudente que celle de Strasbourg, a agi en justice contre l’autorisation d’un forage de géothermie profonde au sud de son ban communal.

 

Car aujourd’hui, est-il sérieux d’affirmer, comme le font les dirigeants de Fonroche, que le risque de micro-sismicité est exclu parce que l’on remplace la fracturation hydraulique par  une « stimulation chimique » qui n’est autre qu’une (re) fracturation du sous-sol ? En réalité nul ne peut le savoir, et aucun scientifique digne de ce nom ne peut être affirmatif quant à ce qui se passera à plusieurs milliers de mètres sous nos pieds, lorsque les fissures de la roche seront rouvertes artificiellement, modifiant les forces en jeu dans le sous-sol.

 

On pourrait aussi se demander comment une société née en 2008 pour fabriquer des panneaux solaires, et qui s’est tournée vers la géothermie en 2011 seulement, sans avoir encore aucune réalisation à son actif dans ce domaine, a pu bénéficier de telles autorisations.

 

Pour autant il faut se garder de dramatiser la situation : il n’y a pas péril en nos demeures, les forages ne sont pas encore autorisés et feront l’objet d’une enquête publique préalable. On peut d’ailleurs être étonnés par la certitude des dirigeants de Fonroche pour qui l’enquête publique semble n’être qu’une simple formalité, alors que le législateur l’a conçue comme une procédure d’information et de consultation du public dont le porteur de projet ne peut préjuger d’une issue favorable.

 

Il est maintenant nécessaire d’approfondir la question des risques, la tête « froide », sous les angles de la technique, de la science, et aussi peut-être du bon sens. Afin de tenter de déterminer si la société qui porte ce projet de transition énergétique, ainsi que les responsables locaux qui lui apportent un soutien « sans faille », sont en train, oui ou non, de jouer aux apprentis sorciers.

 

Jean-Luc DEJEANT

Novembre 2014