De l'Alsace profonde à Napoléon IV

 

C'est à Meistratzheim, village où l'ADIQ retient chaque année la calèche de Saint Nicolas, que nous avons eu vent du destin hors du commun d'un fils de paysan alsacien. Pour déroger à nos habitudes, il nous est venu l'idée de vous parler de cette histoire "hors quartier".

Nous sommes en 1828, quand naît à Meistratzheim Xavier Uhlmann, dont le père était un petit paysan du village qui avait été soldat de Napoléon 1er.

Le jeune Xavier devient soldat à son tour. L'histoire familiale ne dit pas comment, à 29 ans, il entre au service de la Maison de l'Empereur Napoléon III en qualité de valet de pied, homme en livrée qui suivait les grands personnages, avant de devenir huissier auprès de l'Empereur.

A 40 ans il accède à la fonction de valet de chambre du Prince Impérial, âgé de 12 ans à l'époque, et est promu Ordonnance du Prince deux ans plus tard.

C'est là un poste de haute confiance confié à l'enfant de Meistratzheim, qui avait dû faire ses preuves pour y accéder. Xavier Uhlmann ne quittera plus le Prince Impérial, auquel il vouera un total dévouement jusqu'à la mort tragique de ce dernier.

Le Prince Impérial, fils unique de Napoléon III et de l'Impératrice Eugénie, était destiné à régner sous le nom de Napoléon IV, si l'Histoire n'en avait décidé autrement.

Xavier Uhlmann veille sur le jeune Prince, qui lui échappe parfois comme ce jour où l'héritier du trône part sans prévenir dans Paris pour aller manger des frites, délice suprême pour un fils d'empereur ! Xavier Uhlmann fouille le quartier avec d'autres valets : en vain, il faut prévenir l'Empereur. Finalement, alors que la police est sur les dents, l'enfant rentre seul, fort satisfait de son escapade.

Xavier accompagne le Prince dans des moments plus graves, comme pendant la guerre de 1870. Après la défaite face aux Prussiens de Bismark, la famille impériale doit s'exiler en Angleterre ; Xavier est du voyage.

Napoléon III meurt en 1873 ; le Prince Impérial est proclamé Napoléon IV par les Bonapartistes.

En 1879 le Prince Impérial, reconnaissant envers son pays d'accueil et la reine Victoria qui l'a pris en affection, s'embarque pour la colonie britannique du Natal (Afrique du Sud), en guerre contre les Zoulous. L'unique personne qu'il accepte pour l'accompagner est Xavier Uhlmann.

A l'arrivée au Natal le Prince contracte une fièvre qui le cloue au lit "avec pour seul horizon les favoris d'Uhlmann".

De là-bas il écrit à son ami Corvisart : "Uhlmann m'a remis votre lettre lorsque nous passions à la hauteur de Sainte-Hélène. N'ayant pu vous écrire de ce lieu de pèlerinage, j'ai attendu jusqu'à présent… Je pars dans quelques heures pour Port Natal que je suis impatient d'atteindre car un combat y est imminent…"

Un jour le Prince Impérial participe à une mission de reconnaissance avec un petit groupe de soldats anglais. Ils sont assaillis par une troupe de guerriers Zoulous supérieurs en nombre. Les Anglais réussissent à s'enfuir. La sangle de la selle du Prince cède, il chute de cheval. Encerclé par les Zoulous, le Prince résiste seul, vaillamment, avant d'être tué de dix-sept coups de sagaies, à vingt-trois ans.

C'est Xavier Uhlmann qui, bouleversé à l'extrême, reconnaît le corps, retrouvé le lendemain, le recueille et le fait embaumer. Il écrit à sa femme : "Pauvre Prince, si seulement IL m'avait permis de le suivre j'aurais peut-être eu le bonheur de mourir avec Lui… Je L'ai embrassé, pour Sa Majesté [l'Impératrice], pour Ses amis, pour la France et pour moi-même…".

C'est encore à Xavier qu'il revient d'écrire à l'Impératrice Eugénie la triste nouvelle, et de rapatrier la dépouille du Prince.

Le Prince Impérial est enterré auprès de son père Napoléon III, dans l'abbaye de Farnborough, dans le sud de l'Angleterre. Xavier a été couché sur le testament du Prince. Il passe au service de l'Impératrice en qualité de trésorier et vit dans la résidence impériale.

Xavier Uhlmann, le fils de petit paysan de Meistratzheim, repose lui aussi en Angleterre ; son tombeau se trouve à deux pas de la crypte impériale, comme pour veiller sur Napoléon IV pour l'éternité…

Jean-Luc DÉJEANT

Mai 2008