Buffalo bill au Conseil de l'Europe

 

Saviez-vous que Buffalo Bill, le célèbre personnage américain que les films western nous ont appris à aimer et admirer, est venu “ au Conseil de l’Europe” ? Bien entendu, il ne s’agissait pas d’une visite à cette vénérable institution internationale, comme l’ont fait, depuis sa création en 1949, de multiples personnalités du monde entier.

D’ailleurs, cela n’aurait pas été possible, car Buffalo Bill est mort en 1917. En realité, lors de l’une des tournées européennes que Buffalo Bill a organisées pour faire connaître l’ouest sauvage, il a donné un spectacle de son cirque sur la place Lenôtre, attenante au parc de l’Orangerie. Cette esplanade (qui n’existe plus et qui est citée ici avec l'orthographe des textes de référence utilisés) se situait au bout de l’allée de la Robertsau, à l’endroit où, par la suite, a été installé le Conseil de l’Europe.

William Frederick Cody, dit Buffalo Bill, naquit en 1846 et fut un personnage mythique de la conquête de l'Ouest. A partir de 1882, il dirigea un spectacle populaire, le Buffalo Bill’s Wild West et, entre autre, il fit plusieurs tournées en Europe. Il organisa sa  première tournée en 1887. Mais ce ne fut qu'avec sa deuxième tournée qu’il vint, en 1889, en France. Le tour commença par Paris, alors siège de l’exposition universelle, et après un passage par l’Espagne, l’Italie, l’Autriche et l’Allemagne, Buffalo Bill arriva en 1890 à Strasbourg !

Alors qu'il était à Strasbourg, il se passa quelque-chose qui fit que le lien avec Strasbourg et  le Conseil de l’Europe n’est pas seulement “territorial” mais aussi et surtout “thématique”. En effet, en cette circonstance, Buffalo Bill apprit que, dans certains comptes-rendus de sa tournée, la presse américaine avait affirmé que les indiens du spectacle étaient maltraités et discriminés.

Ces compte-rendus tracassèrent Buffalo Bill, qui considérait les indiens comme ses amis. Il décida alors de retourner aux États-Unis avec quelques indiens afin de prouver le caractère mensonger de ces comptes-rendus, après avoir installé son cirque au sud de Strasbourg, à Benfeld, où il le confia à son associé Nate Salsbury.

L’un des principaux engagements du Conseil de l’Europe est l’égalité entre êtres humains et la lutte contre la discrimination, en particulier quand celle-ci touche des catégories, des groupes de personnes ou des minorités. On peut donc dire que Buffalo Bill fut quelqu’un qui mettait en pratique les principes du Conseil de l’Europe avant même la création de l'organisation internationale.

Une fois retourné, après moult péripéties, en Alsace, Buffalo Bill reprit la saison 1891 de son spectacle et partit de Strasbourg pour des villes allemandes, belges et anglaises.

Mais revenons à nos moutons - ou plutôt ... à nos bisons - et voyons comment se passa le séjour de Buffalo Bill à Strasbourg. Il s’était donc installé place Lenôtre, place qui, comme nous l’avons déjà dit, n’existe plus depuis plusieurs décennies et qui était située à l’endroit où se trouve aujourd'hui la pelouse du Conseil de l’Europe .

Robert Redslob dans son livre “Sous les regards de la Cathédrale, souvenirs du vieux Strasbourg” (éditions Sutter 1957, pages 82-83), parle de l’allée de la Robertsau et évoque dans des termes fort émouvants le souvenir du spectacle de Buffalo Bill :

« Nous arrivons à la place Lenôtre. Elle a été, dans notre enfance, le théâtre d'exploits comme Strasbourg n'en a plus jamais vu d'aussi glorieux. Un jour Buffalo Bill est venu. Oui, Buffalo Bill en personne avec ses Indiens et ses cow-boys. Ceux qui n'ont pas vu cette splendeur ne peuvent l'imaginer dans le plus audacieux de leurs rêves. Des Indiens tatoués, couverts de plumes, avec de longs manteaux rouges flottants, lancés à une allure vertigineuse de leurs montures, jetaient des las­sos, noués autour de leurs bras, sur des buffles qui fuyaient éperdus. Il y avait aussi des batailles en règle. Une diligence archaïque s'avançait en cahotant, tirée par six chevaux. Elle était bondée, jusque sur le toit, d'Américains à l'ancienne mode, avec chapeaux  gris hauts de forme, sacs de voyage brodés et longues vues. Tout à coup un rideau rouge s'ouvre au fond, près des remparts. Des  Indiens   arrivent   sur   leurs chevaux, ventre à terre, et se précipitent sur la voiture de poste. A leurs coups de fusil on répond, depuis l'impériale, par des crépitements de pistolets. Au moment où les Indiens vont avoir le dessus, le rideau rouge se sépare à nouveau et les cow-boys s'élancent à la rescousse. Combat héroïque entre brigands et sauveurs. Les coups de feu éclatent. Les gentlemen sur le toit du coche re­prennent courage; ils braquent et déchargent leurs revolvers. A la fin, naturellement, les Indiens s'enfuient. La diligence, rassérénée, reprend sa course vacillante.

Jamais depuis la bataille  d'Arioviste on n'a vu un spectacle aussi pittoresque en Alsace.

Je me suis toujours efforcé, dans la vie, de ne pas céder à des sentiments de jalousie. Mais pour une fois j'ai été vraiment subjugué par l'envie. C'était quand je voyais mes condisciples, les fils du vice-consul d'Amérique, M. Kruger, assis dans le même landau que Buf­falo Bill.

M. Kruger était de Strasbourg. Il jouissait dans notre ville d'une popularité insigne. Il aimait raconter ses souvenirs de la guerre de Sécession, à laquelle il avait participé comme aumônier. On disait de lui que c'était le plus américain des Alsaciens et le plus Alsa­cien des Américains.

Ah, ce Buffalo Bill ! Quelle grande figure ! Il a hanté mon enfance, et il me hante encore.

J'ai parlé de lui à M. Tyson, le président du Col­lège de l'Europe libre. Lui aussi a connu Buffalo Bill. Nous avons communié dans un même souvenir, ce qui a scellé entre nous une amitié indissoluble. »

Buffalo Bill termina sa tournée et, par la suite, en fit d’autres en Europe jusqu’en 1906. Il revint en France et en Allemagne (il ne faut pas oublier qu’à l’époque l’Alsace faisait partie de l’empire allemand) mais il ne revint plus à Strasbourg.

Sergio SANSOTTA

PS : Cet article a été rédigé grâce à une information et à une documentation fournies par Mme Fabienne Valentin Wendling, habitante du quartier, ainsi qu’à une recherche à la BNUS et sur internet (The free Library by Farlex).