Ancien jardin d'enfants Bernegger

 UNE ANCIENNE ELEVE RACONTE

 

A l’époque où se situe ce récit mes parents s’étaient rendus à Paris et n’avaient pu me prendre avec eux. Ma mère, en tant qu’artiste-peintre en art appliqué, avait été sélectionnée pour participer à l’exposition universelle de 1937 au pavillon d’Alsace.

C’est ainsi que j’atterrissais chez mon grand-père Edouard Lehmann, au 15 rue Bernegger, maison mitoyenne du 13, école de Melle Brant, venue de Suisse avec des méthodes assez nouvelles. Je la vois encore, en bonne Suissesse protestante, son chignon de cheveux blancs vigoureusement tiré en arrière, sans doute moins âgée que je ne le croyais, mais les enfants voient les adultes au travers de perceptions que les apparences influencent.

Il y avait deux institutrices également venues de Suisse qui la secondaient, Melle Herrgott à l’abord assez sévère, à laquelle je préférais nettement Melle Valloton, au charmant visage encadré de cheveux noirs tressés. J’ai toujours dans un livre de poésies de l’époque quelques lignes et dessins de sa main.

Ce jardin d’enfants était aussi, avant-guerre, une école qui allait de la 11e à la 9e. On y enseignait une nouveauté, la méthode globale, qui s’avèrera par la suite causer bien des lacunes en orthographe…

Nous n’étions pas nombreux dans chaque classe, garçons et filles mélangés. La gymnastique, le chant, le dessin, les cours de religion et d’éveil, occupaient une place assez considérable dans les programmes.

L’école, de confession plutôt protestante, accueillait néanmoins des enfants israélites. Je n’avais pas bien loin pour me rendre en classe et, souvent, à la dernière minute. Un carillon fait de tubes métalliques tintait à l’entrée du vestiaire. Nous y suspendions nos vêtements dont l’odeur m’est restée comme une entrave à ma liberté.

Dans la cour, à l’arrière, se trouvait un baraquement en bois peint en vert. C’est là que se donnaient les cours de culture physique, de chant, de religion etc. A ce propos je fus troublée, malgré mon jeune âge, par deux enseignements, où dans le premier était présenté l’histoire classique d’Adam et Eve créés par Dieu. Mais au 3e étage on nous racontait tout autrement la vie des premiers hommes, celle de l’époque de Cro-Magnon. Je possède encore les copies au stencil qu’on nous distribuait dans un classeur. Ces récits, avec force croquis, me perturbaient beaucoup ! Car comment concilier ce qui était apparemment contradictoire ? Grande perplexité pour ma jeune tête de 7, 8 ans…

On nous faisait aussi réaliser, à l’aide de terre glaise, les supposées premières habitations de nos ancêtres sous forme d’igloos. Parallèlement, beaucoup de temps était réservé à des « cours d’éveil », c’est-à-dire toutes sortes d’activités où l’élève, provoqué par les éducatrices, devenait lui-même créateur.

La rue Bernegger était encore éclairée par des réverbères à gaz. Je me souviens qu’au soir tombant, le préposé à cette tâche venait avec une longue tige terminée par une sorte de briquet, allumer ceux-ci après avoir ouvert l’une des quatre petites fenêtres qui composaient la lanterne.

Dans les rues du quartier des Quinze, passaient de temps à autre des charrettes à bras, celui qui la poussait criant sur une mélopée que j’ai gardée dans l’oreille, les marchandises qu’il cherchait à récolter chez l’habitant : « Lumpe, alt Ise, chocolat papiiiir… ! ». Quelquefois on voyait un joueur d’orgue de Barbarie, un petit singe sur l’épaule, et je crois même un montreur d’ours. Que cela est loin, mais toujours présent dans mon paysage intérieur.

Puis ce fut la déclaration de guerre en septembre 1939. Je retrouvais mes parents à Paris, mais cela est une autre histoire…

Eliane RIEDIN-DJURCOVITCH , novembre 2011